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Imago Dalmatiae. Itinerari di viaggio dal Medioevo al Novecento

Bocche di Cattaro

“Dévalant dans la Sutorina, qui paraît inhabitée, la route vient vous déposer doucement au bord de l’eau, parmi les arbres. L’on aborde ainsi les fameuses Bouches dont l’entrée s’aperçoit tout près sur la droite, au pied du fort de la Punta d’Ostro, entre deux phares, large goulot au delà duquel s’ouvre la mer illimitée. […]. Jusqu’au bout, jusqu’à Cattaro, nous suivrons les méandres enchevêtrés des bocce (la route de Raguse à Cattaro fait le tour de la partie nord des Bouches dont elle suit intimement les rives. Elle est de création toute récente. En 1909 elle n’était entièrement achevée que jusqu’avant Risano, ensuite ce n’était qu’un petit sentier à peu près impraticable. Elle doit être tout à fait terminée aujourd’hui, mais comme en ce pays de lenteurs on doit s’attendre à tout, je pense qu'il serait bon de s’enquérir de l’état des travaux avant d’entreprendre le tour des Bouches en automobile)” (p. 178).

“Suivre en automobile les bords dentelés des Bouches de Cattaro est un enchantement des sens. La route ne s’écarte pas du rivage, elle en épouse tous les dessins; souvent c’est une chaussée en forme de quai dont les assises disparaissent sous l’eau. On ne perd pas une minute la vue de l’un des plus curieux et des plus imposants panoramas qui existent au monde, on le voit sous toutes ses faces, car le chemin tourne et retourne sans trêve et fait varier continuellement le point de vue. […]. Aucun mot, aucune expression ne me semblent assez puissants pour rendre ce qu’on ressent en face de ce panorama grandiose, de ce «tableau si imposant, que pour le connaître ce n’est pas trop d’entreprendre un long trajet, dût-on ne rien voir d’autre en route», comme l’a écrit Xavier Marmier (De l’Est à l’Ouest, voyages et littérature, Paris, 1867). […].

Le rivage [de la baie de Teodo] est couvert de soldats en manœuvres. Je ne puis m’empêcher d’évoquer les vaillants Monténégrins et de me rappeler la peur terrible que ce petit peuple fit à la puissante Autriche il y a bien peu de temps. Quelques cuirassés autrichiens sont à l’ancre; ces grosses machines semblent ici de petites mouches noires posées sur l’eau, tellement la baie est vaste et hautes sont les montagnes qui l’environnent. La baie de Teodo paraît être le lieu de prédilection des navires de guerre, il y en a toujours, ces seigneurs se tiennent dans le pièce d’apparat de ce grand appartement que sont les Bouches, dont la baie de Topla est l’antichambre, celle de Cattaro la chambre à coucher et le vallone de Risano la cuisine. […].

Finie la grande baie! Les montagnes se sont de nouveau rapprochées et plus encore que tout à l’heure. La route semble courir au bord d’un fleuve, c’est la passe des Catene, l’endroit le plus resserré des Bouches, chenal étroit que des barques traversent continuellement pour unir les deux rives, si étroit que jadis, comme dans le Bosphore, on le fermait par des chaînes tendues d’un borde à l’autre et dont il a tiré son nom” (pp. 180-183).

”Après Morinje, petite bourgade simple, habitée par des marins et des pêcheurs, la rive se fait plus sévère, triste et déserte; c’est que la montagne tombe à pic dans la mer. Le chemin se faufile entre l’eau et le roc et encore achevée, c’est un sentier à peine tracé et encombré de grosses pierres. […].

Une grande montagne s’avance entre le Vallone de Risano et la baie de Cattaro, comme l’éperon de quelque gigantesque navire. Et l’on continue à avanzer par le chemin tortueux qui suit fidèlement les contours de la grève; les villages se succèdent, grands et petits, car si les agglomérations n’abondent pas d’habitude sur les routes de Dalmatie, dans les Bouches au contraire les habitants fort nombreux ont dû presser leurs maisons sur un mince territoire entre eau et montagne. Perasto, Orahovac, Dobrota, Cattaro sont unies les unes aux autres par un chapelet d’habitations entourées de vignes et d’oliviers, blanche guirlande appliquée sur un fond vert et gris. […].

Le cercle de Cattaro, bien que faisant partie de la Dalmatie autrichienne, a une physionomie ethnique propre. Si les habitants qui vivent autour des Bouches, les Bocquais, sont un résumé de peuples divers, grecs, italiens, serbes, albanais que les hasards de l’histoire et les nécessités du négoce ont amenés en cette si singulière partie du monde, on s’aperçoit sans peine que la majorité est slave. Et ces Slaves des Bouches, ces Serbes, sont restés plus Serbes que partout ailleurs: c’est une population particulière qui tiendrait plus du Monténégrin que du Dalmate. Est-ce à cause du voisinage de la Tsernagore indomptée? Est-ce en raison de leur habitat dans ce pays sans pareil? Est-ce parce que cette population n’a pas, pendant plusieurs siècles, obéi aux mêmes maîtres que les autres Dalmates, ou mieux parce qu’elle n’a jamais réellement obéi à des maîtres? Cela tient sans doute à ces raisons réunies et peut-être à d’autres encore. Les Bocquais ne peuvent supporter le joug. Les Français d’abord, puis les Autrichiens en firent la dure expérience. Les Français, qui possédèrent la Dalmatie, ne parvinrent jamais à soumettre complètement les Bouches, […]. L’insurrection des Bouches de Cattaro de 1869 a marqué de sang l’une des pages de l’histoire autrichienne” (pp. 185-188).