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Imago Dalmatiae. Itinerari di viaggio dal Medioevo al Novecento

Scardona

“Quittant Zara, on remonte le chemin du Vélébit pendant quelques kilomètres, jusqu’à Demonico: là, on prend à droite la direction de Scardona. Cette nouvelle route est assez bonne; c’est une œuvre française, elle fut construite par les soldats de Napoléon. […].

A mesure que nous avançons dans le sud nous voyons les costumes indigènes se faire de plus en plus caractéristiques, de plus en plus curieux. Les paysans passent nombreux sur cette route, par groupes ou isolés. Des femmes en théories gracieuses, pittoresques et babillardes; elles portent des robes blanches ou crème, en drap, droites comme des sacs, souvent fendues sur les côtés comme des chasubles: serait-ce la dalmatique? Les broderies abondent, surchargeant le costume d’un véritable poids, ornant jusqu’au tablier d’étoffe brune. Elles ont les reins serrés par de larges ceintures de cuir constellées de broderies et de perles, qui leur donnent des allures rigides, des airs hiératiques. Une minuscule toque rouge, crânement inclinée sur l’oreille, leur fait un air coquet, bien femme, qu’accentue encore leur manière d’arranger leurs cheveux, noirs ou blonds, en larges bandeaux plats collés sur les tempes et tressés en nattes qui tombent entre les épaules. Elles portent des monnaies de cuivre ou d’argent en rangs multiples, autour du cou, sur les épaules et dans les cheveux. En sommes les femmes dalmates sont fort gracieuses en leurs atours nationaux; malheureusement, il faut les admirer au repos; dès qu’elles marchent, les bottes de gros drap dont elles s’entourent les jambes leur font des pattes énormes, alourdissent leur démarche et leur impriment un cachet d’ours en promenade!

Les hommes, eux, sont de grands diables rouges. Vestes rouges, pantalons blancs, toques rouges. Ah! Cette petite calotte, si plate, si exiguë qu’elle ne peut tenir toute seule sur la tête et qu’on doit la fixer au moyen d’un élastique passant derrière l’oreille, si petite qu’elle ne recouvre même pas la place de la tonsure. Les Dalmates portent fièrement sur la côté du crâne - je ne puis dire sur l’oreille, car, vu ses petites dimensions, elle en est encore fort éloignée - leur coiffure nationale, la plus petite coiffure que j’aie jamais vue, un vrai chapeau de clown, sans bordure, admirable outil pour se protéger contre les rayons du soleil, et l’on sait si le soleil est ici prodigue de ses rayons.

A mesure qu’on approche de Scardona, l’aspect du pays se modifie, se peuple d’arbres, on roule dans les taillis de chênes, petits et touffus. […]. Voici une bifurcation. Nous sommes à Ponti di Bribir, les fameux ponts qui, durant tout le moyen âge, jouèrent un rôle stratégique si important que les féodaux s’en disputèrent sans cesse la possession; c’est à la fois un multiple carrefour et une frontière naturelle dont les ponts forment autant de clefs. […].

Scardona est une des plus anciennes villes de la Dalmatie; importante et florissante au temps des Romains, puis au moyen âge, les Turcs la ruinèrent comme tant d’autres villes, hélas! Ruinée, elle nous parut l’être toujours; ses maisons délabrées et sales, ses habitants misérables nous firent chaque fois une bien pénible impression. Elle est triste et sans animation, bien que point de départ des touristes qui viennent visiter les célèbres chutes de la Krka; à vrai dire, ces touristes sont encore peu nombreux!” (pp. 46-49).